Journal de bord de l'Harmattan |
Mardi 29 aoĂ»t 2023, Ă 16 h TU, 18 h en France. - A Cormeilles en Vexin N° 1354 - Gueule d’ange et tĂŞte brĂ»lĂ©e
Bonjour Ă tous,
Je viens de passer quelques jours aux Praz avec mon frère, ma grande sœur et mon beau-frère. J’adore cet endroit. J’ai loué un petit chalet avec une vue exceptionnelle. La grande terrasse se trouve juste face aux hautes alpes. Lorsqu’on prend nos repas, nous avons une vue magnifique sur l’Aiguille du Midi pile en face. Puis, accolé vers la droite le Mont-Blanc et encore à droite le Dôme du Goûter. Sur sa gauche les Grandes Jorasses sont mes préférées. Encore un peu à gauche l’Aiguille Verte (c’est une « fake news », elle n’est pas verte) s’élève majestueusement, accolée aux Drus.
En primaire, mon institutrice s’appelait Madame Andrée. C’est elle qui m’a appris tous ces mots magiques pour moi. Ils me faisaient rêver, ils étaient synonymes d’aventures humaines exceptionnelles. C’était la grande époque des « premières », ces conquêtes fabuleuses malgré d’énormes difficultés. Maurice Herzog et Louis Lachenal venaient de conquérir l’Annapurna (en 1950) d’où ils sont redescendus les pieds et les mains gelés.
Cet été j’ai fait des rencontres inoubliables. Il y a eu toi Ginette, à Jersey. Nous cherchions notre location et tu nous as interpelés. Tu ne fais pas tes 88 ans. Pendant plus de trois quarts d’heure, tu nous as parlé de ta vie. Quel bon moment ! Tu nous as parlé comme si nous étions des amis de longue date, n’hésitant pas à nous faire partager des choses de l’intime que tu n’avais jamais révélé avant, même à tes enfants.
Et puis il y a eu toi, petite Manon. C’était au Lac Vert, tu descendais de la montagne avec tes encadrants et les quelques enfants partis en randonnée avec trois ânes. Lorsque vous êtes passés, nous avions parlé un peu. Du haut de tes 13 ans tu m’as frappé droit au cœur lorsque tu es revenue, me tendant une demi-pomme afin que je puisse l’offrir à Bahia, ta petite ânesse. Quel honneur tu m’as fait ! Pourquoi m’avoir choisi moi ? Nous avons parlé longtemps et j’ai adoré ta vision de la vie.
Mais toi Philippe, tu m’as carrément retourné, tu es un rayon de soleil et un exemple pour tous. C’était un mercredi matin, au super marché sur la rue principale. J’avais juste pris deux baguettes pour le pique-nique. A la caisse tu étais devant moi et malgré le peu de courses que tu avais, tu m’as proposé de passer devant toi. J’ai souri et je t’ai dit que j’étais en vacances. Tu m’as répondu « C’est une belle façon de voir la vie ».
Puis nous avons discuté. J’ai découvert que tu n’étais pas un touriste, mais un Chamoniard de souche. Je t’ai demandé si tu faisais des randonnées et tu m’as dit avoir ton diplôme officiel de guide, mais que tu n’en as pas fait ton métier, tu as passé ta vie à Chamonix comme coiffeur pour dames. Je t’ai demandé ton âge, 82 ans. Tu ne les fais pas.
Puis il a fallu payer, nous nous sommes séparés. Mais je t’ai retrouvé dehors alors que tu te préparais à partir sur ton vélo. Nous avons continué notre conversation. Tu m’as avoué que tu as adoré ton métier, qu’il t’a fait gagner beaucoup d’argent. J’étais surpris, alors tu m’as épaté en m’avouant que tu avais été Meilleur Ouvrier de France.
J’ai été frappé par ta bonne humeur, tu es un véritable rayon de soleil, tu illumines tout autour de toi. Je t’ai demandé si tu étais heureux et tu m’as répondu que tu ressentais un grand bonheur. Puis tu as continué, avec ton œil qui frisait un peu « malgré la perte de mes deux fils ». Quel choc ! Pour moi, perdre un enfant est ce qu’il y a de pire dans la vie. Comment peut-on avoir encore une joie de vivre après de telles épreuves ?
Ton premier fils est mort à 17 ans dans une avalanche à Chamonix. Pour ton second fils, tu m’as dit de rechercher Marco Siffredi sur Internet. Tu me précises qu’il a disparu à l’âge de 23 ans et qu’il est gelé en haut de l’Everest. Bien sûr j’ai cherché et j’ai découvert l’ange de Chamonix. Quel garçon ! C’était une étoile filante. Il a réalisé des descentes exceptionnelles en surf.
L’année précédente il avait descendu la face la plus facile, mais il a voulu pousser le bouchon un peu plus loin et descendre le couloir Hornbein. « Divin coup d’épée entaillant le versant le plus majestueux du grand Everest » (Antoine Chandelier). De nombreux ouvrages lui ont été consacrés et j’avais vu il n’y a pas très longtemps le film « Tout là -haut », réalisé en son hommage. Le 8 septembre 2002 à 15 heures, il s’est élancé et, après quelques virages, il disparait. Personne ne l’a jamais revu.
Philippe, je remercie les circonstances qui m’ont fait te connaître. Tu es un soleil, tu es un homme exceptionnel. Tout le monde devrait s’aligner sur la façon que tu as de prendre la vie, arrêter de se plaindre et profiter à fond de ce qui nous est accordé.
A bientĂ´t Jean-Louis |
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