Journal de bord de l'Harmattan |
Fri, 13 Aug 2010 07:00:00 - 179°51W 19°02S N° 175 - La ligne de changement de date
9H00 H en France, 19 heures J-1 heure du bord,
Bonjour à tous, Lorsque j’étais petit, mon institutrice, madame André, nous faisait découvrir le monde. J’aimais bien les cours de géographie car cela me permettait de voyager et de rêver en imaginant comment la vie était ailleurs. Par contre quand il s’agissait d’apprendre par cœur le nombre de quintaux de blé que produisait la Russie cela ne m’allait plus du tout. J’avais également du mal avec tout ce qui n’était pas concret, tout ce qui ne pouvait être touché. Les cercles polaires c’était facile, d’un côté il y avait de la glace et pas de l’autre, l‘équateur je pouvais m’imaginer, les tropiques avec leurs noms qui fait peur, Capricorne et Cancer, j’imaginais déjà beaucoup moins mais alors le bouquet c’était la ligne de changement de date. Difficile à conceptualiser ! Moi je me disais qu’il suffit d’attendre demain matin et qu’il n’y a pas besoin de ligne. Encore aujourd’hui je me pose plein de questions. Je vais la passer ce soir. Est-ce une grande ligne blanche dans la mer ? Est-ce qu’il y a des bouées ? Comment c’est fait ? Est-ce que c’est dangereux ? Est-ce qu’il y a des tourbillons géants comme à Messine ? Et puis j’imagine qu’il doit faire jour d’un côté et nuit de l’autre. Je regarde à l’avant du bateau mais je ne vois rien. Je vais ralentir un peu pour être sûr de la passer à minuit pile pour bien changer de date. Mais alors je vais passer directement de jeudi 24 heures à samedi 0 heures. Il va me manquer un jour de vie. Bon c’est un vendredi 13 mais quand même, j’aurais pu gagner au loto. Et puis, alors, je suis né le 8 mars, il va falloir maintenant me souhaiter mon anniversaire le 9 pour que j’aie bien tous mes jours. Mais alors et mon jumeaux ? Est-ce que l’on va bien continués d’être jumeaux ? Que de questions alors que je n’aie pas dormi la nuit dernière. Voilà l’histoire. J’approchais les îles Lau, c’est un archipel d’îles et de récifs qui coupe la route, il faut traverser ce passage difficile. J’avais roulé totalement le génois pour réduire ma vitesse et j’étais grand voile à deux ris et artimon plein. L’arrivée aux îles était prévu aux environ de trois heures et demi du matin. J’avais mis des alarmes, activé le réveil sur mon téléphone portable mais impossible de dormir, trop de stress et la crainte de ne pas me réveiller et de me jeter sur les récifs. Le passage est difficile, c’est plein de récifs à fleur d’eau et il faut zigzaguer au milieu de tout cela. Je vous plante le décor : Une nuit d’un noir d’encre, pas de lune, je ne vois pas l’avant du bateau. Je suis entouré d’énormes nuages d’orage et il pleut. Il pleut à l’horizontale car le vent est monté à 30 nœuds et je m’engage dans un passage de plusieurs milles de long au milieu des récifs. Sur le radar je ne vois rien car les récifs sont à fleur d’eau, aussi je ne peux pas me situer. Après mon aventure aux Cailles du Diable dont vous vous souvenez, je n’ai aucune confiance dans la qualité des cartes, aussi je reste bien au milieu de la passe en serrant les fesses. Le problème c’est que le vent est pile dans l’axe, sur l’arrière et qu’il y a des rouleaux très impressionnants. Le bateau est chahuté par ces rouleaux et il se met en travers sans cesse. Ce qui devait arriver arriva, Pan, empannage ! Je suis furieux, je sors dehors et commence à reprendre de l’écoute de grand voile. Puis comme cela va recommencer, je décide de prendre tout de suite un troisième ris. Je largue un peu de drisse, blizzard l’angle que fait cette bôme. Je comprends tout de suite car hier j’ai vu que le pied de mon hale bas poussant était boursouflé, il vient de casser. Je n’ai pas le choix, je n’ai plus qu’à descendre totalement la grand voile et poser l’extrémité de la bôme sur le pont. Pendant ce temps le vent pousse sur l’artimon et mets le bateau en travers, ce n’était vraiment pas l’endroit pour avoir ce genre de problème. Le pilote qui n’en peu plus se met en alarme, cela hurle de partout. Surtout ne pas paniquer ! Je n’ai que deux bras, il faut absolument sérialiser les urgences et rétablir la situation. Le bateau est en travers et part sur le côté de la passe. J’essaye de récupérer ma bôme et de la caler. Je borde l’écoute de façon à la coincer sur le bord de l’arceau puis je saute au fond du bateau pour mettre le moteur en marche. Ouf il démarre ! Je n’ai plus qu’à me repositionner au milieu de la passe et réenclencher le pilote avant de m’occuper un peu plus à sécuriser ma bôme. Quelle chaleur ! Je suis inquiet, je ne vois toujours rien sur l’écran radar alors qu’il y a des îles au milieu des récifs. Suis-je au bon endroit ? Puis, 20 minutes plus tard je distingue un écho sur le sommet d’une île. Ouf ! Je passe le reste de la nuit à slalomer au milieu de ces îles avant de retrouver des eaux libres et de pouvoir envoyer le génois. J’ai passé la matinée à démonter ce hale bas. Je découvre un grand trou à l’intérieur, étonnant, il doit y avoir un défaut de conception car il est neuf. Il a juste un tour de méditerranée et un demi-tour du monde dans les pattes. J’ai gréé une balancine et je peux donc me servir à nouveau de la grand voile. Pour l’instant cela va bien avec le génois, je n’ai pas le courage de la hisser. Voilà pour la vie du bord. Maintenant je voulais parler de dialyse. Beaucoup de gens, sans me le dire franchement, pense que c’est impossible cette aventure, qu’il y a un trop grand décalage entre le dialysé que l’on connaît, bloqué à l’hôpital un jour sur deux et un aventurier qui parcourt le monde en solitaire sur son voilier. En fait ils pensent que je ne suis pas tout à fait malade autant que les autres et que ce n’est pas tout à fait une dialyse. Cela paraît trop beau pour être vrai. Hé bien, malheureusement, mes reins sont dans le même état que tous les autres dialysés, je suis inscrit sur la liste des personnes en attente de greffe et la dialyse péritonéale est reconnue par tous les néphrologues comme étant à égal efficacité que l’hémodialyse. Il n’y a pas une meilleure méthode que l’autre, elles se valent. Battons nous pour que tous les futurs dialysés aient l’opportunité de choisir en toute objectivité comment ils veulent être dialysés. 135 milles au compteur ce jour A demain Jean Louis |
"bonjour mon ami, Quelle chaleur... je t'imagine à poil sur le pont en train de te bagarrer avec ta baume !!! pendant que nous , lisons voiles et voiliers du mois d'aout qui relate les aventures de deux solitaires, l'un sur un 6m50 et l'autre sans escales...depuis son départ."
Envoyé par bernard.lannion le 15-08-2010 à 12:30
"Bonjour Captain, je profite d'un accès internet pour t'envoyer un rapide petit mot depuis Durban où tu dois te rendre bientôt. Content de voir que tout se passe bien. Déjà 3 semaines que je suis en Afrique du Sud et plus de 4000 photos... sur lesquelles j'ai 200 plaques qui tiennent pas trop mal la route. Encore 4 semaines à visiter ce pays magnifique. J'ai moi aussi beaucoup de chance. Profite bien de ton magnifique bateau, amitiés Paparazzi"
Envoyé par Paparazzi le 16-08-2010 à 00:07
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