Journal de bord de l'Harmattan |
Mon, 24 Oct 2011 15:30:00 - 51° 43’E 24° 04’S N° 380 - Les naufragĂ©s de l’îlot maudit
17H30 en France, 19H00 heure du bord 51° 43’E 24° 04’S
Bonjour Ă tous,
Nous sommes au 18e siècle, très exactement en 1761, l’île Maurice, appelée alors Ile de France, est encore française ainsi que Rodrigue. La Réunion s’appelle encore Ile Bourbon.
Elles sont administrées toutes les trois par un gouverneur, Monsieur Desforges-Boucher qui a pris un arrêté interdisant dans tout l’océan indien la traite des esclaves, se réservant pour lui-même ce commerce extrêmement lucratif.
Quelque part, entre la pointe nord de Madagascar et Ile de France, certains capitaines disent avoir aperçus la mer briser au beau milieu de l’océan. L’un d’eux place ce phénomène à 54° 51’ E et 16° 19 S, un autre à 52° 12’E et 15° 30’ S. Beaucoup sont passés par là sans rien voir. Sur de nombreuses cartes, rien n’est signalé mais sur une carte, un récif apparaît positionné à 52° 32’ E et 15° 55 S.
Les marins n’aiment pas ces parages. Ils l’appellent le Danger, l’île de Sable, l’îlot Maudit, l’île flottante mais personne ne sait si elle existe réellement.
Le 31 juillet, en plein hiver austral, l’Utile, une flûte de 800 tonneaux armée par la Compagnie des Indes, fait route. Elle est commandée par monsieur Jean de Lafargue. Partie de Madagascar, elle va livrer les marchandises qu’elle transporte à l’Ile de France. A fond de cale, juste au dessus du lest, une cargaison frauduleuse de 160 esclaves noirs est enfermée.
Ils ont entre 15 et 25 ans, il y a quelques enfants. Ils sont costauds et aptes au dur travail de la canne à sucre. Tous les jours, on fait monter les esclaves sur le pont pour les laver, les examiner, les faire marcher de façon à ce qu’ils restent un peu en forme pour en tirer un bon prix à l’arrivée.
Ce bateau n’est pas prévu pour transporter des esclaves, on ne peut les enchainer, alors les ouvertures par lesquelles ils descendent sont obturées par des planches que l’on fixe avec des clous.
L’équipage est composé de 9 officiers et de 134 marins en plus du capitaine. Malgré l’opposition de ses officiers qui ne veulent pas passer dans les parages de l’île maudite, le capitaine qui nie l’existence de celle-ci, maintient le cap. Vers 22h20, le bateau vibre puis talonne brutalement. Il est ensuite porté par les vagues qui déferlent en s’encastrant de plus en plus sur le récif.
Le naufrage dure plusieurs heures, le capitaine ayant perdu la raison, c’est le premier lieutenant, Barthélemy Castellan du Vernet qui prend le commandement. Il fait abattre les mâts pour essayer de maintenir le bateau sur l’eau. Personne ne pense ou ne veut aller délivrer ces pauvres gens enfermés dans la cale qui doivent avoir une peur terrible de se retrouver noyés comme des rats.
Progressivement le bateau se casse en six morceaux. Lorsque le jour se lève, certains ont réussis à gagner la terre et organisent avec des cordes un va et vient car la plupart des marins ne savent pas nager. Sur les 143 hommes d’équipage, 22 seront noyés et 121 rescapés, par contre sur les 160 esclaves, 88 seulement survivront au naufrage, 72 se sont noyés.
Au petit matin, les barriques d’eau libérées par l’épave commencent à arriver sur la plage. Les esclaves s’emparent de trois petites avant d’être chassés alors que l’équipage récupère un stock important.
L’îlot est tout petit, à peine 5 mètre à son point culminant, 700 mètres de large sur 1300 mètres de long. Pas d’arbre, juste quelques arbustes arrivant à la taille, des oiseaux, des nids avec des œufs, et quelques tortues. Ce n’est pas l’île de Robinson Crusoé avec ses montagnes, ses sources d’eau claires et ses chèvres.
Castellan sait qu’ils ne survivront pas longtemps sans eau. Il entreprend de faire creuser un puits. Après une journée de travail, il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas d’eau à cet endroit. Immédiatement il repère un endroit qui semble plus propice et encore une fois il faut creuser dans le corail. A 5 mètres, au niveau de la mer, ils trouvent enfin une eau un peu saumâtre mais buvable. L’équipage peut alors se désaltérer.
On pense alors aux esclaves noirs, sous cette chaleur torride, sans ombre pour se protéger du soleil et sans eau, 28 sont déjà morts de soif ces deux premiers jours.
Castellan sait qu’il ne faut attendre d’aide de personne. Il entreprend alors de construire une Prame en récupérant les matériaux de l’épave. Sur les 121 membres d’équipage survivants, seul 25 acceptent de l’aider. Il se tourne alors vers les esclaves et une quarantaine se joignent à eux. Ils construisent une forge avec une vieille malle ainsi qu’un four pour cuire des biscuits pour le voyage.
Le 27 septembre, soit moins de deux mois après le naufrage, la Prame est mise à l’eau. Elle est trop petite pour charger tous les survivants. Les blancs embarquent en promettant aux noirs de revenir les chercher. Elle mettra quatre jours pour rejoindre Madagascar.
Castellan étant sous l’autorité de Desforges-Boucher, jamais celui-ci n’acceptera d’affréter un bateau pour tenir cette promesse. Ce n’est que quinze ans plus tard, alors que cinq fois, des bateaux passant par là , on a revu l’île avec des silhouettes qui s’agitent sur la plage que Ternay, le nouveau gouverneur envoie la Sauterelle pour récupérer les naufragés. Une chaloupe est mise à la mer, cela se passe mal, un marin réussi à regagner le bord à la nage alors que l’autre reste sur l’île avec les 13 noirs survivants.
Un, puis deux, puis trois essais infructueux se succèdent avant que Tromelin sur la Dauphine arrive à récupérer les 7 femmes survivantes et le nourrisson, fils du marin de la Sauterelle.
Sur les 88 noirs survivant au naufrage, 28 sont morts de soifs dans les deux jours, au bout de deux ans, 18 sont partis sur un radeau, on ne les a jamais revus, le marin est parti lui aussi sur un radeau avec trois hommes et trois femmes, on ne les a jamais revus, les autres sont morts.
Les rescapés sont arrivés dans un état physique très dégradé à Ile de France le 14 décembre 1776, ils furent immédiatement déclarés libres et baptisés. Cette histoire contribuât fortement à l’abolition de l’esclavage.
L’île est maintenant appelée Ile Tromelin, elle continue à flotter puisque dans le livre d’Irène Frain « Les naufragés de l’île Tromelin » sorti en mars 2010, il est écrit « La position exacte de l’île – 15° 53’ S, 52° 11’ E – n’a été déterminée qu’en 1953 » alors que sur ma cartographie elle apparaît à 15° 53’ S, 54° 31’ E. Heureusement que je suis passé assez loin de ces parages !
A midi, j’ai commencé la procédure pour passer à l’heure de Madagascar. Avec mes anti-rejets je change par demi-heure. Demain je n’aurai plus qu’une heure de décalage avec Paris et lorsque je serais à Durban je serai sur le même fuseau horaire.
Je n’ai toujours pas de vent, je fais route au moteur, à allure réduite, pour essayer de limiter au maximum ma consommation de gasoil. Si je dois faire toute la route ainsi, il va me falloir 15 jours, soit 360h de moteur ! Je ne dois consommer au maximum qu’un litre six à l’heure alors que la consommation du moteur est donnée pour 5L à l’heure !
Puis, à midi trente, un orage débloque la situation et un vent d’environ 11 nœuds se met à souffler du nord ouest, en plein sur mon travers. Je coupe le moteur et Harmattan galope joyeusement entre 6 et 7 nœuds. Je ne me souvenais plus comment c’est bon. En milieu d’après midi, je suis même obligé de prendre un ris dans le génois, le vent étant maintenant à 15 nœuds.
En fin de matinée j’ai installé la pêche. A 14h15, alors que je bricole dans le bateau, je l’entends partir. Je pense que c’est un gros. Je freine doucement et le laisse se fatiguer. Après un quart d’heure, je freine totalement pour qu’il ne prenne pas plus de nylon et je le laisse se fatiguer encore. Le bateau sous génois, grand voile et artimon file à 7 nœuds, beaucoup trop pour que je puisse remonter le poisson. Aussi je rentre le génois pour limiter la vitesse à 3 nœuds.
Après trois quarts d’heure d’efforts j’amène au bord du bateau une superbe daurade coryphène d’environ 1,30 mètre et d’une dizaine d |
"Bonjour Cap'tain, merci pour cette belle histoire et bravo pour la pêche j'en connais qui ont du saliver, c'est mieux que les mouettes... Bon vent. Amitiés "
Envoyé par Paparazzi le 24-10-2011 à 22:47
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