Journal de bord de l'Harmattan
Sat, 14 Nov 2015 19:00:00 - 22°56S 43°54W
N° 828 - Le printemps Ă  Itacuruça

20h00 en France, 17 heures au Brésil.
Marina RioMarina


Bonjour Ă  tous,

Je suis dans la peau du prince charmant s’apprêtant à réveiller la
princesse Aurore, plus connue comme « La belle au bois dormant ». Les
anglophones affectent en effet aux bateaux le genre féminin. Pourtant
rien ne prête au merveilleux. Je ne suis pas en train d’arriver près
de ce fameux château au bord de la Loire. Ici c’est « L’enfer du Nord
» propulsé sous les tropiques.

Je sue et je souffle en m’arrachant pour essayer de faire progresser
l’attelage fait de ma lourde valise suivie de mon chiotte sur la route
mal pavée et mal entretenue qui mène à la marina RioMarina à
Itacuruça. En cette fin d’après midi le printemps est déjà pas mal
avancé, il fait chaud, il fait lourd, il fait moite et il va bientôt
tomber un grain. J’ai hâte de passer le fossé qui marque la fin de la
route puis de rejoindre le bord de mer pour apercevoir enfin mon
bateau.

Ouf ! Je reconnais sans peine son mât d’artimon surmonté par le dôme
du téléphone satellite. Quel soulagement de constater qu’il flotte
normalement dans ses lignes. Par contre il n’est pas très
resplendissant, couvert de poussière il fait peine à voir. Endormi il
l’est c’est évident, mais un seul baiser ne suffira pas pour le
réveiller et pour le ramener à une vie normale. Il va falloir que je
me retrousse les manches un bon coup.

Arrivé tout au bout du « Piers 2 » où est amarré Harmattan je souffle
un coup en l’observant avec attention. Quel voyage ! Apparemment tout
va bien, pas de catastrophe majeure. Grâce aux amarres je le tire près
du ponton pour saisir la drisse d’échelle de coupé que j’avais fixé à
l’extrémité d’un bossoir et je descends la passerelle pour monter à
bord.

Le pont sous l’artimon est garni d’aiguilles de pin et des fientes. Je
passe ma main entre le taux et la voile pour saisir un petit animal
tout chaud et tout doux qui frémi sous mes doigts. Je ramène ma main
et découvre une petite hirondelle qui avait décidé de construire son
nid ici. Pas de ça madame l’hirondelle ! Je la relâche et elle
s’envole rapidement. C’est une jeune, certainement sa première couvée,
elle ne sait pas encore trouver un endroit propice. Je jette le nid Ă 
la mer, des brindilles et quelques plumes.

J’ouvre ensuite les portes de la capote. Il y a de la poussière
partout. Je pousse le capot de descente. Pas de grosse catastrophe. Re
ouf ! La batterie est au maximum. Toute première chose, pour réveiller
la belle j’allume la musique. Cà y est, la vie est revenue. D’autant
plus que j’envoie la clef USB où sont stockés tous les morceaux que
j’aime.

Ici également la poussière est omni présente. Les boiseries sont
ternes, certainement un tout petit champignon qui s’envole d’un coup
de chiffon qui devient tout gris. Je suis mort de fatigue, je fais un
minimum de ménage pour descendre la valise et accéder au lit. J’ouvre
tous les hublots et les panneaux de pont. Il y a de nombreux petits
papillons qui volent partout. Il y en a beaucoup au sol, morts de
vieillesse. Heureusement mon aspirateur à main est chargé et il m’aide
Ă  faire place nette pour passer la nuit. Je verrais le reste demain.

Une dernière chose : le froid. Malheureusement je découvre que le
groupe froid de mon congélateur ne veut pas démarrer. Et le joint du
frigo est décollé ! Je vais devoir me jeter sur ce problème en
première heure demain matin.

Avant de dormir il faut que je mange. Je n’ai pas pris de vrai repas
depuis 24 heures. Et puis j’ai quelques courses à faire pour le petit
déjeuner. Quel dîner ! Escalope milanaise servie avec salade verte et
tomate, frittes et comme toujours un petit bol de riz et des «
feijoadas » ces petits haricots rouges dans une sauce marron foncée,
un régale. Je renoue également avec la bière locale.

Après une grande nuit qui me remet en ligne j’attaque l’état des
lieux. Je travail sur le congélateur mais je dois me rendre à
l’évidence, il faut changer le groupe. J’ai bien rapporté une cuvette
de WC, un groupe froid ne me fait pas peur.

Pas de problème au niveau du moteur principal mais le groupe ne veut
pas démarrer. Il ne me résiste pas longtemps, je le connais par cœur.
C’est une petite cosse qui s’était oxydée.

Le problème ici est la connexion Internet. Il y a bien un Internet
café mais il ne fonctionne pas et dans tous les restaurants (de plage)
ou les cafés pas d’Internet. Vers 11h30 ce vendredi matin, après les
courses, je me rends au grand hôtel « Palace Plazza » et pour lancer
la conversation je lance « It is possible to drink something ? ».

On ne me propose qu’une chose : Caïpirinha ! Comment refuser ? On
m’apporte alors un énorme verre, au moins 25 cl d’une magnifique
CaĂŻpirinha. Je trempe la paille dedans, aspire et manque tomber Ă  la
renverse tellement elle est bonne. Ils ont dĂ» forcer sur la dose de
Cachaça pour se débarrasser de l’intrus. Du coup je merdouille avec
Internet sans réussir vraiment. La faute à ce sublime breuvage ?

Je fais signe Ă  la fille pour payer, elle ne comprends pas et
m’apporte un second verre identique au premier. Trop c’est trop. Je
refuse et reviens au bateau. Il est 13h mais au lieu de préparer le
repas je m’allonge et m’évapore en ronflant dans les vapeurs d’alcool
jusqu’à 15 heures. Que c’est bon cette liberté.

J’arrive tout de même à avancer mon boulot. J’ai remis en place le
chargeur de batteries, vidangé le groupe électrogène et le moteur
principal, commencé à travailler sur le WC … Chaque fois que je sors
sur la plateforme arrière Monsieur et Madame Hirondelle me tournent
autour avec des petits cris plaintifs. J’ai de la peine pour eux mais
que faire ?

Hier au soir toutes les télés du coin ont basculées en mode « Breaking
news » et j’ai passé une partie de la soirée à suivre les évènements
parisiens. Les brésiliens compatissent alors qu’eux même ont d’énormes
problèmes économiques. En six mois le Réal s’est dévalué de 33%, c’est
Ă©norme.

Certains pensent que c’est bien pour moi, la vie ici ne vaut plus
rien. Mais comment se réjouir qu’un pays comme le Brésil, grand comme
l’Europe entière, ait de tels problèmes de corruption que son économie
se retrouve au sol ? Je trouve cela catastrophique, aujourd’hui toutes
les économies sont interconnectées. Qu’il va mal ce monde !

A bientĂ´t

Jean-Louis
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