Journal de bord de l'Harmattan
Tue, 21 Oct 2014 17:00:00 - 36° 57’ N 1° 46’ W
N° 731 - Une perle de vie

19h00 heure du bord.
De Carthagène à Almeria, dans le golfe de Véra



Bonjour Ă  tous,

Les nuits se suivent et ne se ressemblent pas. Cette fois-ci le jeu
consistait à parer le « Cabo de Palos », le cap qui se trouve juste à
l’Est de Carthagène. Les caps sont toujours des endroits difficiles à
passer, cette fois pas à cause d’une mer contraire mais parce que les
caps sont des concentrateurs de routes maritimes. Les bateaux qui font
route dans un sens ou dans l’autre veulent tirer au plus court et
forcément passent au plus près de ces avancées terrestres.

Nous nous sommes tous retrouvés dans ces parages, plusieurs voiliers
dans leur parcours de concentration pour se rassembler aux Canaries
avant la grande traversée et des bateaux de croisière pas pressés,
tous transitant d’Est en Ouest. Il n’est pas question de dormir
lorsque cinq ou six bateaux encombrent la mer tout autour de soi.
L’alarme collision n’a plus d’utilité, il faut veiller.

Résultat, après une toute petite nuit en temps de sommeil, je suis
dans un état second, c’est une sorte d’ivresse, j’ai l’impression de
me mouvoir au ralenti, d’être dans de la ouate. Par contre mon esprit
est à vif, mon cerveau mouline comme un fou. Est-ce le résultat de ce
manque de sommeil mais tous mes sens sont exacerbés.

Cette matinée est vraiment exceptionnelle, c’est une perle de vie, un
petit morceau volé à l’éternité, un trésor que l’on n’échangerait pas
même pour tout l’or du monde. Je vais vous planter le décor. Cela
débute par un petit matin d’automne dans les régions chaudes, le ciel
est bleu mais laiteux et les couleurs sont belles, la lumière du
soleil étant diffusée avec intensité à travers une sorte de papier
calque.

La mer est absolument plate et très peu ridée par un léger mouvement
d’air venant de terre. Contrairement à hier, la température est idéale
et une fine chemise suffit au bonheur.

Il est 8 heures, je viens de prendre mes médicaments antirejet. Je
m’installe dans le cockpit pour profiter de ce moment qui passe et
tout à coup je découvre sur bâbord …. une baleine à bosse en train de
flâner. Vite, je réveille Jacky et fais demi tour à très faible
vitesse. Nous passons un moment à la contempler. La mémère n’est pas
farouche, pas inquiète du tout. Elle mesure certainement entre 7 et 8
mètres, plonge de temps à autre avant de ressortir avec un grand
souffle qui vaporise de l’eau de mer.

Nous reprenons notre route, bercés par les mouvements lents du bateau.
Il y a 8 NĹ“uds de vent de travers et nous marchons Ă  5,5N. Bien
qu’entourés de navires de guerre en manœuvre tout est calme. Hier
soir, par hasard j’ai retrouvé mon ipod, il a fait le tour du monde,
il est tout jaune, bouffé par les UV mais c’est le seul appareil que
l’air marin n’a pas oxydé. Je l’ai immédiatement mis en charge.

Je l’aime beaucoup, il est bourré de morceaux que j’aime et ce matin,
à l’intérieur du carré comme dans le cockpit, les décibels ont tout
envahi. A un moment je dois mettre quelques coups de manivelles sur un
winch de génois. Pour être plus à l’aise je sors la tête à l’extérieur
de la capote et surprise, une odeur absolument divine rentre par mes
narines étonnées et envahie tout mon cerveau.

C’est un plaisir immense, l’odeur de la sierra du Sud de l’Espagne.
Une odeur qui fait penser immédiatement aux savanes de l’Afrique si
proche, une odeur épicée qui ne ressemble pas du tout à celle des
herbes aromatiques du maquis Corse. Ici il y a de la terre et des
végétaux brûlés par le soleil, de la fumée, du musc et un mélange
subtil de parfums dont certains assez piquants. Je passe plus d’une
heure la tĂŞte dehors Ă  aspirer de longues rasades de cette drogue qui
pourrait ĂŞtre dure.

Cette vue, ces couleurs, cette sensation de bienêtre général, cette
musique qui me transporte et cette odeur exceptionnelle font surgir en
moi de nombreuses Ă©motions toutes plus fortes les unes que les autres.
C’est si fort, c’est si bon que cela donne envie de pleurer. Encore
une fois je retrouve ce que je suis venu chercher et que m’apporte le
voyage. Ce n’est pas la voile que j’aime, c’est le voyage. Comment
rencontrer dans la vie de tous les jours pareil sublimation ?

Après avoir vécu de tels moments, on n’a plus peur de rien, quelques
soit les difficultés que l’on doit affronter, on sait que l’on a pu
gouter à la crème de la vie, que l’on a pu atteindre les sommets de ce
qu’elle peut nous apporter.

Nous avons passé le méridien de Greenwich hier au soir, 112M au
compteur ce jour et 608 depuis la mise à l’eau.

A bientĂ´t

Jean-Louis


"Merci Jean-Louis de nous faire partager ces émotions. En ce qui me concerne, ton récit réveille mon esprit endormi qui passe, sans les voir, devant des plaisirs simples mais capitaux. Voir et apprécier ce que la vie nous donne de bon. MERCI"

Envoyé par Didier le 22-10-2014 à 17:19

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