Journal de bord de l'Harmattan
Fri, 31 Mar 2017 22:00:00 - 41°47’ S 73°37’ W
N° 997 - Une navigation excitante



19h00 heure du bord, 22h00 TU et 24h00 en France.
Canal Chacao

Bonjour Ă  tous,

Lorsque le réveil sonne à 4h15 ce matin ma première réaction est de
l’envoyer bouler. J’enlève mon respirateur, je repousse l’alarme d’une
heure et je me retourne rageusement de l’autre côté en serrant bien
fort mon oreiller entre mes bras avec la bonne résolution d’ignorer
cet avertissement.

Mais comment faire ? Le charme est rompu, mon cerveau s’est remis en
marche et je ne peux faire comme si de rien n’était. Je fini par me
lever et vais mettre la cartographie en marche. Le problème est
simple, la marée haute est à 4h33, la marée basse à 10h42. Pendant ce
temps la mer va descendre de 6,20m.

Par ailleurs la route m’oblige à passer par un rétrécissement très
important où les courants de marée peuvent atteindre 8N, le canal
Dalcahue. Il faut donc se trouver à cet endroit à l’étale,
c’est-à-dire à 10h42. Je mesure la distance, il y a tout juste 30
Miles. A 5N de moyenne il faut 6 heures ! Pas besoin de calculette, je
dois relever l’ancre immédiatement, de plus je vais bénéficier du
courant de marée pour descendre ce bras de mer.

Mais revenons un peu à la journée d’hier. J’imaginais assez bien une
journée calme avec pas grand-chose d’urgent à entreprendre mais comme
Ă  chaque escale, il ne faut pas chercher beaucoup pour trouver des
problèmes à résoudre.

En faisant le tour d’Harmattan en annexe, comme l’eau est assez
claire, je vois que mon hélice est enturbannée de tiges de kelp. Mais
beaucoup plus grave, l’anode sacrificielle en zinc de l’hélice a
disparue. C’est très grave car son rôle, comme son nom l’indique est
de se sacrifier afin d’éviter que des pièces importantes du moteur ne
soient détériorées par l’électrolyse.

Je dois absolument en remettre une en place. J’en ai bien une en stock
mais la vis ayant été perdue je dois trouver une vis et une rondelle
frein. Heureusement je ne suis pas Ă  Puerto Natales et je trouve assez
facilement la boutique spécialisée dans les vis inox.

Maintenant il faut plonger. L’eau est à 14 degrés, je n’ai pas de
combinaison et je n’ai plus 20 ans. Je rassemble tout mon courage et
commence à descendre l’échelle mais, lorsque l’eau atteint ma taille
je ne sens plus mes pieds. Je suis seul, je me dis que ce n’est pas
sérieux du tout et je ressors de l’eau immédiatement.

Je dois pouvoir arranger cela avec un jeune pĂŞcheur. Me voilĂ  donc
parti sur le port. En chemin je croise les Milo One et Yvan me dit «
Mais nous, on en a un jeune ». Effectivement, Aymeric a 24 ans et il
se propose gentiment. Quel soulagement lorsque la nouvelle anode est
en place ! Merci Aymeric.

Depuis trois mois que nous nous sommes rencontrés avec les Milo One (à
Mar Del Plata), nos routes se croisent continuellement. Yvan, Sabrina,
Oscar, Clémence et Aymeric sont devenus des amis, de vrais bons amis
même. Nous nous estimons beaucoup réciproquement et hier soir c’était
comme une soirée d’adieu. La fête est belle et je me suis couché à
minuit d’où le réveil difficile à 4h15 !

Il est 9h40, juste la bonne heure, ce matin lorsque j’arrive à
l’entrée du Dalcahue. Surprise, juste devant moi il y a comme un nuage
de quelques mètres d’épaisseur au ras de la mer. Cela va compliquer
sérieusement le problème. Je n’ai pas le choix, j’y vais.

Le passage fait 7,5 Miles de long, soit environ 2h de navigation. Dès
que je me suis introduit sous le nuage j’aperçois à peine à 10 mètres
devant Harmattan. L’atmosphère est étrange. Il vaut mieux maîtriser
parfaitement l’utilisation du radar. J’ai réduit la vitesse à 3,5N et
je monte régulièrement au cockpit pour envoyer un coup de corne de
brume.

C’est très excitant, j’adore ces moments. Plus c’est difficile et plus
j’aime. Je dois m’occuper du radar, le régler en permanence afin de
bien valider tous les Ă©chos tout en ayant un Ĺ“il sur le sondeur ainsi
que sur mes vitesses surface et fond afin d’estimer le courant.
Heureusement l’image de mon radar est superposée à ma cartographie.

Après deux heures de ce travail intense je sors tout à coup du nuage
en mĂŞme temps que du passage difficile. Etrange ! Est-ce fait
sciemment par la nature ? Un bel arc de brume est éclairé par le
soleil, c’est beau. Que je suis heureux d’avoir vécu ce moment.

Enfin, à 18 heures j’attaque la passe entre le Nord de l’île de Chiloé
et le continent. J’y suis juste à la bonne heure en fonction des
marées. C’est assez étroit et avec l’énorme marnage le courant y est
extrêmement fort puisqu’il dépasse 8 Nœuds. La surface de l’eau est
étonnante, il y a d’énormes marmites, des tourbillons et des remous
monstrueux.

Harmattan est secoué constamment, il part en permanence d’un côté et
de l’autre, le pilote fait de son mieux et la barre à roue tourne
rapidement pour compenser. Hector aura mal aux bras ce soir. De
nombreux animaux fréquentent ce lieu dantesque, plein d’oiseaux de mer
dont des pélicans, des phoques, des otaries …

C’est encore une journée de vie extraordinaire qui se termine. Mais
qu’ai-je fais pour mériter toutes ces récompenses ?

A bientĂ´t
Sommaire
Commentaire
Précédent
Suivant